Pas d’indemnisation de la perte de revenus locatifs pour l’exproprié dont le logement loué n’est pas décent

Expropriation

La Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 11 janvier 2023, qu’une indemnité d’expropriation pour perte de revenus locatifs ne peut être octroyée à un propriétaire exproprié qui loue un logement non décent.

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Le contexte

La société civile immobilière EDBE a été expropriée, au profit de la société de requalification des quartiers anciens (SOREQA), d’un lot de copropriété lui appartenant, divisé en deux chambres de service mises en location.

Se prononçant en appel sur la fixation des indemnités d’expropriation revenant à la SCI EDBE, propriétaire exproprié, la Cour d’appel de Paris a jugé, dans un arrêt du 2 septembre 2021, comme un préjudice réparable sa perte de revenus locatifs, alors qu’elle donnait à bail des logements indécents dont la superficie était inférieure à 9 m².

Elle a ainsi considéré que, nonobstant cette violation de la règle selon laquelle le bailleur est tenu de délivrer à son preneur un logement décent, le propriétaire exproprié disposait d’un droit juridiquement protégé au jour de l’expropriation, en raison de son droit de propriété et de la conclusion de baux.

La SOREQA s’est pourvue en cassation.

L’indemnisation pour l'exproprié de ses préjudices directs, matériels, certains et « légitimes » seulement

L’expropriation constituant un mode de cession forcée des biens, l’exproprié perçoit non pas un prix correspondant à une vente, mais des indemnités visant à réparer ses préjudices, dont le montant est déterminé dans les conditions fixées par les dispositions de l’article L. 321-1 du code de l’expropriation, selon lequel :

Les indemnités allouées couvrent l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation.

Au-delà de ces critères, seul donne lieu à réparation le préjudice reposant sur un droit ou un intérêt « juridiquement protégé ».

C’est ainsi qu’à titre d’exemples, il a été jugé que ne donnent pas lieu à réparation une construction édifiée sans permis de construire, la perte d’une ressource provenant d’un ouvrage illégalement créé, la perte d’un fonds de commerce pour l’exploitation duquel l’intéressé ne disposait plus d’une autorisation administrative régulière…

La solution de l’arrêt du 11 janvier 2023

Dans sa décision du 11 janvier 2023, après avoir rappelé les dispositions de l’article L. 321-1 du code de l’expropriation précitées, la Cour de cassation a souligné celles de l’article 1719 du code civil, selon lesquelles :

Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière : 1° De délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d'habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l'expulsion de l'occupant (…)

La Haute juridiction en a ainsi déduit que la perte de revenus locatifs tirée de la location d’un logement indécent ne constitue pas un droit juridiquement protégé dont la perte ouvrirait droit à indemnisation, en ces termes :

En statuant ainsi, après avoir constaté que les deux logements loués ne répondaient pas, au regard de leur superficie, aux critères du logement décent que le bailleur est tenu de délivrer à son preneur, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il s'évince que l'expropriée ne pouvait se prévaloir d'un droit juridiquement protégé dont la perte ouvrirait droit à indemnisation, a violé les textes susvisés.