La prescription acquisitive admise en faveur des personnes publiques

Domanialité

La Cour de Cassation vient de consacrer, dans un arrêt du 4 janvier 2023, la possibilité pour une commune (ou toute autre personne publique) d’acquérir un bien par la voie de la prescription acquisitive.

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Le mécanisme de la prescription acquisitive

La prescription acquisitive (ou usucapion) est définie par les dispositions de l’article 2258 du code civil comme :

Un moyen d’obtenir un bien ou un droit par l'effet de la possession sans que celui qui l'allègue soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi

Cette possession doit impérativement être « continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire », comme le rappellent les dispositions de l’article 2261 du même code. 

En matière immobilière, le délai de prescription requis pour acquérir la propriété est de trente ans, et de dix ans pour  « celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble », selon les dispositions de l’article 2272 du code civil.

Le doute sur la possibilité, pour les personnes publiques, d’acquérir par voie de prescription

Jusqu’alors, des incertitudes subsistaient quant à la possibilité, pour une personne publique, de se prévaloir de l’usucapion comme mode d’acquisition d’un bien.

Dans une réponse ministérielle du 8 mars 2012, le Ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration avait même affirmé que :

Ce mécanisme de prescription acquisitive trentenaire ne peut bénéficier aux communes. En effet, cette modalité d'acquisition de biens ne figure pas parmi celles que prévoit le code général de la propriété des personnes publiques (CG3P)

Le CG3P cite en effet, au titre des modes d’acquisition de la propriété de biens par des personnes publiques :

 

  • à titre onéreux : 
    • à l’amiable : l’achat, l’échange et la dation en paiement,
    • par voie de contrainte : la nationalisation, l’expropriation et la préemption,
  • à titre gratuit : les dons et legs, les successions et déshérences, les biens sans maître, les biens confisqués…

L’apport de l’arrêt du 4 janvier 2023

Dans l’affaire soumise à la Haute Juridiction, une commune a assigné en revendication de la propriété d’une parcelle le couple qui en était propriétaire, lequel avait permis, durant plus de trente ans, que son terrain serve de parking public et de zone de bacs à déchets.

Ce couple demandait quant à lui la libération de la parcelle, la remise en état des lieux et l’indemnisation de leur préjudice sur le fondement de la voie de fait par la commune.

Pour admettre la possibilité pour les personnes publiques d’user de ce mode d’acquisition, la Cour de cassation a constaté que les dispositions du code civil précitées n’étaient pas expressément réservées aux personnes privées, et que le CG3P n’excluait pas non plus expressément la possibilité, pour les personnes publiques, d’acquérir par voie de prescription :

Vu les articles 712 et 2258 du code civil et le livre premier de la première partie du code général de la propriété des personnes publiques :

Selon les deux premiers textes, la propriété s'acquiert par la prescription qui est un moyen d'acquérir un bien ou un droit par l'effet de la possession. Ces textes ne réservent pas aux seules personnes privées le bénéfice de ce mode d'acquisition qui répond à un motif d'intérêt général de sécurité juridique en faisant correspondre le droit de propriété à une situation de fait durable, caractérisée par une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire (3e Civ., 17 juin 2011, pourvoi n° 11-40.014, Bull. 2011, III, n° 106).

Le livre susvisé énumère des modes d'acquisition de la propriété des personnes publiques, sans exclure la possibilité pour celles-ci de l'acquérir par prescription.

La Haute Juridiction souligne, par la même occasion, que ce mode d’acquisition répond à un motif d’intérêt général de sécurité juridique, en faisant correspondre le droit de propriété à une situation de fait durable, connue de tous. 

Est ainsi consacrée, sans équivoque, la possibilité pour une personne publique d’acquérir un bien par la voie de la prescription acquisitive, décennale ou trentenaire, sur le fondement des dispositions des articles 2258 et suivants du code civil. 

Il est enfin rappelé qu’un particulier ne peut quant à lui utiliser ce procédé, pour devenir propriétaire de biens appartenant à des personnes publiques, que s’il s’agit de biens relevant de leur domaine privé.

La réciproque ne vaut en effet pas pour les biens relevant du domaine public, en vertu du principe d’inaliénabilité de celui-ci.