L’ouverture du référé-liberté à la protection de l’environnement

Environnement

Le Conseil d’Etat a consacré, dans une décision du 20 septembre 2022, le « droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » comme une liberté fondamentale, de nature à justifier l’engagement d’une procédure de référé-liberté.

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Le contexte

Aux termes d’une délibération adoptée le 27 octobre 2016, le conseil départemental du Var a décidé le recalibrage de la route départementale n°29 au lieu-dit  » Les Martins « , sur le territoire de la commune de la Crau, avec création d’une voie cyclable. Il a ensuite entrepris lesdits travaux dans le courant de l’année 2021.

Un couple possédant un laboratoire en limite de ces travaux, et menant depuis plusieurs années un travail de recensement et d’étude des espèces protégées, a sollicité de la part du Juge des référés du Tribunal administratif de Toulon qu’il soit enjoint au département de suspendre ces travaux.

En première instance, le Juge a rejeté la demande du couple, au motif que la protection de l’environnement ne constituait pas une liberté fondamentale de nature à justifier l’engagement d’une procédure de référé-liberté. 

Les requérants se sont pourvus en cassation.

La procédure de référé-liberté

La procédure de référé-liberté est une procédure d’urgence permettant de mettre fin à une mesure administrative de nature à porter une atteinte grave à l’exercice d’une liberté fondamentale.

Elle est consacrée par l’article L. 521-2 du code de justice administrative, selon lequel :

Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures.

Les apports de l'ordonnance du 20 septembre 2022

Dans sa décision du 20 septembre 2022, le Conseil d’Etat a tout d’abord utilement rappelé les procédures d’urgence qui peuvent être engagées en cas d’atteinte à l’environnement :

Pour prévenir ou faire cesser une atteinte à l'environnement dont il n'est pas sérieusement contestable qu'elle trouve sa cause dans l'action ou la carence de l'autorité publique, le juge des référés peut, en cas d'urgence, être saisi soit sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative ou, le cas échéant, sans qu'aucune condition d'urgence ne soit requise, sur le fondement des articles L. 122-2 et L. 123-16 du code de l'environnement, afin qu'il ordonne la suspension de la décision administrative, positive ou négative, à l'origine de cette atteinte, soit sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, afin qu'il enjoigne à l'autorité publique, sans faire obstacle à l'exécution d'une décision administrative, de prendre des mesures conservatoires destinées à faire échec ou à mettre un terme à cette atteinte.

La Haute Juridiction a ensuite reconnu l’intégration du « droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » dans le champ du référé-liberté, avant de rappeler dans le détail les critères qui définissent le champ d’application de cette procédure :

Le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que proclamé par l'article premier de la Charte de l'environnement, présente le caractère d'une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

Toute personne justifiant, au regard de sa situation personnelle, notamment si ses conditions ou son cadre de vie sont gravement et directement affectés, ou des intérêts qu'elle entend défendre, qu'il y est porté une atteinte grave et manifestement illégale du fait de l'action ou de la carence de l'autorité publique, peut saisir le juge des référés sur le fondement de cet article.

Il lui appartient alors de faire état de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour elle de bénéficier, dans le très bref délai prévu par ces dispositions, d'une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article.

Dans tous les cas, l'intervention du juge des référés dans les conditions d'urgence particulière prévues par l'article L. 521-2 précité est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires.

Compte tenu du cadre temporel dans lequel se prononce le juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-2, les mesures qu'il peut ordonner doivent s'apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises.

Le Conseil d’Etat a toutefois considéré qu’en l’espèce, d’une part, il n’y avait pas d’urgence particulière, dès lors que la délibération autorisant les travaux d’octobre 2016, la déclaration au titre de la loi sur l’eau et l’autorisation de défrichement de décembre 2020 n’avaient pas été contestées par le couple, et d’autre part, qu’il n’y avait pas d’atteinte au droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, au motif que la sensibilité du milieu naturel, notamment biologique, au projet envisagé était modérée, qu’aucun enjeu de conservation notable n’avait pu être identifié et que la nature et l’ampleur limitée des travaux avaient justifié que le préfet dispense le projet d’étude d’impact.

S’il a pour ces motifs rejeté la demande des requérants, le Juge des référés du Conseil d’État a toutefois annulé l’ordonnance du Tribunal administratif de Toulon au motif que la protection de l’environnement constituait bien une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative.